Origines
La vie de Franz Philippson (1851-1929) tient du roman. Né en Allemagne, il est le fils du rabbin Ludwig Philippson, considéré comme un des grands réformateurs de la religion juive. À l’âge de 15 ans, Franz choisit la carrière financière et s’installe en Belgique – bien qu’il ne connaisse pas un mot de français. Il fait ses premières armes professionnelles sous l’égide du flamboyant banquier italo-belge Jacques Errera, dont il devient l’indispensable associé quelques années.
En 1871, alors que Franz Philippson vient de sauver la fortune d’Errera, celui-ci lui confie un demi-million de francs pour travailler à son compte : à l’âge de 20 ans ( !), Franz ouvre alors sa propre banque.
En 1875, Franz Philippson épouse Mathilde Mayer, fille d’un industriel luxembourgeois et passionnée d’art. Profondément épris l’un de l’autre, ils auront quatre enfants : Maurice, Gabrielle, Jules et Jacques.
Self-made-man, Franz n’aura de cesse de s’émanciper de la tutelle de son commanditaire Errera, dont le patronage lui coûte une bonne partie des fruits de son travail. Il est servi par les circonstances : en 1877, Jacques Errera devient fou. Devenu maître de sa destinée, Franz imprime un nouvel élan à sa banque, spécialisée en opérations de bourse. Son réseau de correspondants couvre Paris, Londres, Hambourg et bientôt New York. Il diversifie ses activités, fonde plusieurs entreprises actives dans le secteur des transports (1880) et dans les métaux non-ferreux (1882).
Un banquier hors normes
L’année 1886 marque un tournant décisif dans la carrière de Franz : grâce à une formule originale qu’il a mise au point, sa banque participe à la conversion des emprunts qui pèsent sur les finances de la Ville de Bruxelles. Le succès de cette opération amène la reconnaissance de la Banque comme un acteur majeur du paysage financier belge, interlocuteur des plus grands établissements comme la Société Générale de Belgique et la Banque de Bruxelles.
Entre 1890 et 1914, la banque Philippson participe activement à la mondialisation de l’économie : il émet des emprunts argentins ou norvégiens à Bruxelles, place la dette belge à Londres et Hambourg. Les sociétés dont il est l’administrateur participent au financement de chemins de fer au Congo et au Brésil, récoltent du caoutchouc au Cameroun et entament l’électrification de la Belgique.
À côté du banquier, l’homme
Au-delà de ses activités de banquier, Philippson s’avère un homme aux facettes multiples, intéressé par la politique, la question sociale, l’art, l’enseignement… En 1909, il acquiert le château de Seneffe et le réhabilite. Avec sa femme, il constitue une collection d’œuvres d’art et soutient plusieurs artistes comme le sculpteur Charles van der Stappen ou le peintre Fernand Khnopff. Co-fondateur puis président de la Société des Amis des Musées Royaux de l’État, il finance aussi la recherche en finançant les travaux de son gendre, le physicien Robert Goldschmidt (ULB). Il est un des co-fondateurs de la Société des Habitations à Bon Marché de l’Agglomération Bruxelloise et finance la lutte contre la tuberculose.
Les convictions, le tempérament et les antécédents familiaux de Philippson le poussaient à s’engager au sein de la communauté juive. Il est administrateur de la communauté bruxelloise dès 1880 et président en 1884. En 1896, il est impliqué dans l’affaire Dreyfus : il aide à la diffusion d’écrits favorables au capitaine et fait procéder en Belgique à des expertises en écriture qui l’innocentent. En 1896, il devient administrateur de la Jewish Colonization Association qui cherche à faciliter l’émigration, vers la Palestine ou les Amériques, des juifs européens victimes de pogromes. Des colonies de peuplement sont fondées au Brésil et en Argentine qui portent son nom : Colonia Philippson.
La Grande guerre
La Première Guerre mondiale et son cortège de souffrances vont provoquer une rupture dans la vie de Franz. Il tire un trait définitif sur ses racines allemandes. Deux de ses trois fils vont combattre sur l’Yser, et l’un d’eux n’en reviendra pas. A Bruxelles, le banquier joue un rôle crucial dans les mesures prises pour éviter la débâcle financière du pays, puis pour réunir les emprunts qui vont financer les contributions de guerre imposées par l’Occupant. Son expérience fait de lui un des interlocuteurs les plus influents du « Consortium des Banques » où se noue le destin économique du pays. Mais il est aussi impliqué dans un des plus curieux incidents politiques de la guerre, quand une de ses connaissances d’avant-guerre, le chimiste allemand Walther Nernst, tente de nouer par son intermédiaire des négociations de paix.
La relève familiale
Dans les années 1920, Franz Philippson développe encore la banque, aidé de ses fils Jules et Maurice. Ils vont conseiller les gouvernements successifs dans les dossiers les plus brulants de l’heure : la question des réparations, la stabilisation de la monnaie, la réforme de la Banque nationale, l’endettement chronique du pays.
Franz Philippson meurt en juillet 1929. Après la mort de son fondateur, l’histoire de la banque Philippson – aujourd’hui Banque Degroof Petercam – se prolonge sous la houlette de ses fils Maurice (1877-1938) et Jules (1881-1961) et de ses petits-enfants Paul Philippson (1910-1978) et Bénédict Goldschmidt, avec l’appui de Richard Weitzel (1871-1947) et de Jean Degroof (1897-1969). La grande dépression ébranla la Banque jusque dans ses fondements. La Seconde Guerre mondiale obligea la famille de son fondateur à prendre les routes de l’exil. Aujourd’hui pourtant, la Banque prospère et des membres de la famille Philippson sont toujours intimement liés à sa destinée… C’est le récit des 75 premières années de cette aventure que nous vous convions à découvrir. |